BATAILLE D’OCTODURE
Epoque romaine – Attaque du camp de Galba dans les Alpes (Bataille d’Octodure)
Extrait de : La Guerre des Gaules – livre III (56 av J.-C.) Jules César traduction Nisard 1865
(1) En partant pour l’Italie, César avait envoyé Servius Galba, avec la douzième légion et une partie de la cavalerie, chez les Nantuates, les Véragres et les Sédunes, dont le territoire s’étend depuis le pays des Allobroges, le lac Léman et le fleuve du Rhône jusqu’aux Hautes-Alpes. (2) L’objet de la mission de Galba était d’ouvrir un chemin à travers ces montagnes, où les marchands ne pouvaient passer sans courir de grands dangers et payer des droits onéreux. (3) César lui permit, s’il le jugeait nécessaire, de mettre sa légion en quartier d’hiver dans ce pays. (4) Après quelques combats heureux pour lui, et la prise de plusieurs forteresses, Galba reçut de toutes parts des députés et des otages, fit la paix, plaça deux cohortes en cantonnement chez les Nantuates, et lui-même, avec les autres cohortes de la légion, prit son quartier d’hiver dans un bourg des Véragres, nommé Octoduros. (5) Ce bourg, situé dans un vallon peu ouvert, est de tous côtés environné de très hautes montagnes. (6) Une rivière le traverse et le divise en deux parties. Galba laissa l’une aux Gaulois, et l’autre, demeurée vide par leur retraite, dut servir de quartier d’hiver aux cohortes romaines. Il s’y fortifia d’un retranchement et d’un fossé.
(1) Après plusieurs jours passés dans ce bourg, et employés par Galba à faire venir des vivres, il apprit tout à coup de ses éclaireurs que tous les Gaulois avaient, pendant la nuit, évacué la partie du bourg qui leur avait été laissée, et que les montagnes qui dominent Octoduros étaient occupées par une multitude immense de Sédunes et de Véragres. (2) Plusieurs motifs avaient suggéré aux Gaulois ce projet subit de renouveler la guerre et d’accabler notre légion. (3) Ils savaient que cette légion n’était plus au complet, qu’on en avait retiré deux cohortes, que des détachements partiels, servant d’escorte aux convois, tenaient beaucoup de soldats absents, et ce corps ainsi réduit leur paraissait méprisable ; (4) ils croyaient de plus que le désavantage de notre position, lorsqu’ils se précipiteraient des montagnes dans le vallon, en lançant leurs traits, ne permettrait pas à nos troupes de soutenir leur premier choc. (5) À ces causes se joignaient la douleur d’être séparés de leurs enfants enlevés à titre d’otages, et la persuasion que les Romains cherchaient à s’emparer des Alpes, moins pour avoir un passage que pour s’y établir à jamais, et les réunir à leur province qui en est voisine.
(1) En recevant ces nouvelles, Galba, qui n’avait ni achevé ses retranchements pour l’hivernage, ni suffisamment pourvu aux subsistances, et que la soumission des Gaulois, suivie de la remise de leurs otages, faisait douter de la possibilité d’une attaque, se hâte d’assembler un conseil et de recueillir les avis. (2) Dans ce danger, aussi grand que subit et inattendu, lorsque l’on voyait déjà presque toutes les hauteurs couvertes d’une multitude d’ennemis en armes, qu’on n’avait aucun secours à attendre, aucun moyen de s’assurer des vivres, puisque les chemins étaient interceptés, (3) envisageant cette position presque désespérée, plusieurs, dans ce conseil, étaient d’avis d’abandonner les bagages et de se faire jour à travers les ennemis afin de se sauver par où l’on était venu. (4) Cependant le plus grand nombre, réservant ce parti pour la dernière extrémité, résolut de tenter le sort des armes et de défendre le camp.
(1) Peu d’instants s’étaient écoulés depuis cette résolution, et on avait à peine eu le temps de faire les dispositions qu’elle exigeait, lorsque les ennemis accourent de toutes parts à un signal donné, et lancent sur notre camp des pierres et des pieux. (2) Les nôtres, dont les forces étaient encore entières, opposèrent une courageuse résistance : lancés du haut des retranchements, tous leurs traits portaient coup : apercevaient-ils quelque point du camp trop vivement pressé faute de défenseurs, ils couraient y porter secours ; (3) mais les Gaulois avaient cet avantage, qu’ils pouvaient remplacer par des troupes fraîches celles qui se retiraient fatiguées par un long combat, (4) manoeuvre que le petit nombre des nôtres leur interdisait. Ceux dont les forces étaient épuisées, et les blessés eux-mêmes, ne pouvaient quitter la place où ils se trouvaient, pour reprendre haleine.
(1) II y avait déjà plus de six heures que le combat durait sans interruption ; et non seulement les forces, mais les traits même commençaient à manquer ; l’attaque devenait plus pressante et la résistance plus faible. L’ennemi forçait déjà le retranchement et comblait le fossé ; nos affaires enfin étaient dans le plus grand péril, (2) lorsque P. Sextius Baculus, centurion du premier rang, le même que nous avons vu couvert de blessures à la bataille contre les Nerviens, et C. Volusénus, tribun militaire, homme également ferme dans le conseil et dans l’action, accourent auprès de Galba, et lui représentent qu’il n’y a plus de salut à attendre que d’une vigoureuse sortie, qu’il faut tenter cette dernière ressource. (3) Les centurions sont convoqués, et on ordonne aussitôt aux soldats de suspendre un moment le combat, de parer seulement les traits qu’on leur lance, et de reprendre haleine ; puis, au signal donné, de se précipiter hors du camp et de n’espérer leur salut que de leur courage.
(1) L’ordre s’exécute, et nos soldats, s’élançant tout à coup hors du camp par toutes les portes, ne laissent pas aux ennemis le temps de juger de ce qui se passe ni de se rallier. (2) Le combat change ainsi de face ; ceux qui se croyaient déjà maîtres du camp sont de tous côtés enveloppés et massacrés ; et, de plus de trente mille hommes dont il était constant que se composait l’armée des barbares, plus du tiers fut tué ; le reste, épouvanté, prit la fuite, et ne put même rester sur les hauteurs. (3) Toutes les forces des ennemis ainsi dispersées et les armes enlevées, on rentra dans le camp et dans les retranchements. (4) Après cette victoire, Galba ne voulut plus tenter le sort des combats ; mais, se rappelant qu’il avait pris ses quartiers d’hiver dans un tout autre dessein, qu’avaient traversé des circonstances imprévues, pressé d’ailleurs par le manque de grains et de vivres, il fit brûler le lendemain toutes les habitations du bourg et prit la route de la province. (5) Aucun ennemi n’arrêtant ni ne retardant sa marche, il ramena la légion sans perte chez les Nantuates, et de là chez les Allobroges, où il hiverna.