Monsieur le lt-col Jean-Jacques Rapin nous a fait l’honneur de préfacer le nouveau site de l’ASMEM.

UN DEVOIR DE MEMOIRE NECESSAIRE

A la mémoire du Lt-colonel René Rodolphe et

à celle du Colonel Jean Lebet

Le devoir de mémoire contribue à forger une identité. Par là même, il est générateur de force, capable d’inspirer la conduite de ceux qui nous suivent. La déjà longue histoire de l’Association Saint-Maurice, aujourd’hui si vivante après trente-huit d’ans d’existence, en est une illustration frappante.N’oublions pas qu’elle est née d’un bref dialogue, tenu en janvier 1970 à Savatan, au cours d’un exercice Baranoff, lorsque l’auteur de ces lignes posa à son Commandant de régiment, le Colonel Jean Lebet, une question concernant la rédaction de l’ordre d’engagement du fort de Champex. Chose incroyable, la simple réponse donnée allait créer l’impulsion initiale à tout ce qui s’en est suivi: Allez à la bibliothèque du mess et lisez “Combats dans la Ligne Maginot”, du Lt-colonel Rodolphe . Peut-être y trouverez-vous la réponse souhaitée” …

J’y trouvai bien plus qu’une réponse ! Lu d’une nuit, le livre se révéla être d’une richesse de renseignements exceptionnelle sur le combat de forteresse, écrit par le chef de l’artillerie d’un puissant ouvrage, qui s’était rendu cinq jours après l’armistice du 25 juin 1940, tous ses moyens de feu intacts. J’y découvris aussi une vision du rôle joué par la Ligne Maginot complètement différente de tout ce que nous savions d’elle ! De sorte que le lendemain même, je proposai au Colonel Lebet d’entreprendre des recherches pour retrouver le Lt-colonel Rodolphe et pour pouvoir visiter les lieux de combats concernés. Ce qu’il accepta, bien sûr, sans que ni lui, ni moi, n’ayons imaginé ce qu’allait être cette aventure : pour mon seul compte, l’envoi de 4’300 lettres et la conduite de 12 voyages d’études sur des sites fortifiés étrangers …

On peut s’étonner de cet engagement. Pour le comprendre, il faut se replacer dans le climat d’alors. Nous étions alors en pleine guerre froide, la fortification suisse était encore un élément central de la défense du pays. Chacun d’entre nous croyait à la nécessité de la mission qui nous était confiée et tenait à y apporter sa contribution. Mais l’histoire de notre Arme était peu et mal connue – la nôtre tout d’abord – et surtout, d’une manière générale, la réputation de la fortification avait été sérieusement mise à mal par l’exemple de la Ligne Maginot, si coûteuse et apparemment si inutile ! Or voici qu’un livre nous apportait une information complètement à contre-courant: la défaite de 1940 avait bien d’autres raisons que la prétendue inutilité de la Ligne Maginot. A lui seul, ce fait était un encouragement de taille pour nous, renforçant la confiance que nous avions dans notre propre système fortifié.

Dès lors, 1970, 1971,1972 sont des années de nombreuses recherches, toutes négatives, auprès des autorités militaires françaises, des éditeurs, des maires des communes concernées par les combats de 1939-40: le Lt-colonel Rodolphe était mort en 1954, l’éditeur également, son fonds dispersé, le livre épuisé. Mais les choses changent brusquement en mai 1973. Un camarade me met sous les yeux un volume récemment paru du journaliste Roger Bruge, consacré à la Ligne Maginot. J’y trouve des noms d’officiers ayant servi au Hochwald, sous le Lt-colonel Rodolphe. J’écris donc à l’auteur via son éditeur. Il me donne l’adresse de Mme Rodolphe, mais me déconseille de lui écrire (… c’est inutile, me dit-il …) Ce que je fais pourtant, en décrivant notre admiration pour l’oeuvre de son mari, écrite en captivité. La réponse de Mme Rodolphe est telle, que je lui demande l’autorisation de lui rendre visite …

Si bien que le 14 août 1973, j’arrive au matin à Boulogne-sur-Mer. L’accueil de Mme Rodolphe est très émouvant, pour elle et pour moi. Jamais personne ne l’avait jamais approchée, car en France, le sujet de la Ligne Maginot était plus que tabou ! Elle me donne l’autorisation de rééditer le livre de son mari, me remet – preuve étonnante de confiance – le Journal de combat de l’artillerie du Hochwald, comportant le détail des 29’000 coups tirés du 3 septembre 1939 au 25 juin 1940, plus un album de photographies qui nous sera utile pour enrichir une future réédition de l’ouvrage …

En septembre déjà, des contacts sont pris avec le Capitaine Klausfelder en vue d’une réédition suisse du livre. Une maquette et un budget sont établis et commencent les recherches de fonds nécessaires (environ 25’000 francs). Une vaste opération de relations publiques est décidée, afin que non seulement les troupes de forteresse, mais les plus larges milieux de l’Armée, prennent connaissance de la riche information contenue dans le livre du Lt-colonel Rodolphe. Ainsi débutent les premiers des 92 exposés donnés au cours des années par l’auteur de ces lignes, dans les exercices Baranoff, les écoles centrales, les cours EMG et les sociétés militaires les plus diverses …

Si bien que le 25 janvier 1974, lors du Cours Armée et Foyer de la Brigade de forteresse 10 organisé à la caserne de Lausanne, est fondée, non sans émotion,  l’Association Saint-Maurice, à l’occasion de la sortie de la  première édition suisse des Combats dans la Ligne Maginot, du Lt-colonel René Rodolphe. Le départ est ainsi donné pour une grande et belle aventure.

Son premier épisode est une coïncidence étrange et, là encore, émouvante, car le 11 mars 1974, le Président des Anciens Combattants du Secteur de Haguenau (qui comprend le Hochwald) m’écrit pour me faire part de sa stupéfaction d’apprendre que ce sont des Suisses qui ont mené à bien la réédition du livre du Lt-colonel Rodolphe ! Or, le livre sort précisément au moment où ces anciens combattants vont se réunir pour la première fois depuis l’armistice de juin 1940 ! On peut imaginer le climat de ces cérémonies de retrouvailles, organisées au Hochwald les 6 et 7 avril 1974, et la chaleur de l’accueil qui nous fut réservé …

Nous nous arrêterons-nous là, car il faudrait des pages pour évoquer les événements les plus marquants des décennies écoulées. Ceux que cela intéresse les retrouveront dans le Rapport présidentiel que j’ai présenté le 25 février 1988 à la fin de mon mandat. Ce rapport, comme nombre d’autres documents qui sont la base et même le fondement de notre Association, appartiendront en effet au site internet réactivé sous la responsabilité du Capitaine Pierre Delévaux.

Je salue ici la sage décision du Comité de veiller à cette sauvegarde, et ceci, pour deux raisons. La première étant le respect qui est dû à notre passé, la seconde, parce qu’une telle sauvegarde est garante d’une poursuite de l’activité de l’Association fidèle à l’esprit qui a présidé à ses débuts, un esprit que résume la devise placée au-dessus de la croix de Saint-Maurice qui orne notre papier à écrire: SERVIR.

 Lausanne, ce 17 mars 2012

Lieutenant-colonel Jean-Jacques Rapin

Fondateur de l’Association Saint-Maurice pour la recherche de documents sur la forteresse

Président d’honneur de l’Association Saint-Maurice d’Études Militaires