Année 2002 !…, par le Divisionnaire Luc Fellay

La politique de sécurité de notre pays traverse une période de mutation sans précédent. Le plan directeur Armée XXI, fondé sur la conception de la sécurité par la coopération, est actuellement soumis aux Chambres fédérales. Sur cette base, la Suisse pourra se doter d’un instrument stratégique moderne, adapté aux menaces.

Dans ce contexte, j’aimerais vous présenter trois aspects liés qui me semblent importants:

  • Le principe de modularité;
  • Le futur des troupes de forteresse;
  • Le tourisme de mémoire.

Objectivement, nos Grandes Unités ne sont plus capables de remplir les prestations exigées et, en parallèle, de développer, ou même simplement de conserver Un niveau d’instruction crédible, car, tandis que les servitudes et les engagements augmentent, les effectifs, en particulier ceux des cadres, diminuent !

L’ordre de bataille de l’armée, héritier de la guerre froide et d’une conception statique des opérations, ne nous facilite pas la tâche.
La solution de la modularité, force de circonstance créée en fonction des besoins, n’est cependant pas encore entrée dans les habitudes du commandement, alors que la majorité des missions subsidiaires sont déjà remplies de cette manière !
Il n’est ainsi pas rare de voir, conduites par un état-major de GU territoriale, des troupes du Nord-Est de la Suisse garder des missions diplomatiques à Genève ou assurer l’aide en cas de catastrophe en Valais.
Le principe de la modularité offre une plus grande liberté de manœuvre au décideur. Il lui accorde une flexibilité maximale dans l’emploi des formations et permet de tenir compte au mieux de leur état de préparation. Pour le cas de défense, il offre en outre l’avantage de pouvoir tailler une force « sur mesure » pour mieux contrecarrer la menace.
Cependant ce principe est combattu par certains responsables militaires, sous prétexte de maintenir artificiellement des ancrages territoriaux. A l’époque de la globalisation, de la mobilité et de la flexibilité, ce système est révolu ! Il faut adapter notre armée, la redimensionner et mieux l’instruire pour en faire un instrument plus flexible. La capacité de créer des efforts principaux dans l’espace et dans le temps et de les appliquer sur les centres de gravité de l’ennemi est déterminante pour contraindre un adversaire à abandonner le combat. L’efficacité de l’instrument stratégique d’emploi de la force ne doit pas être sacrifiée sur l’autel du régionalisme ou d’intérêts particuliers.
D’ailleurs, avec l’Armée 95, déjà, les troupes de forteresse, précédemment affectées statiquement à des installations, sont devenues des formations liées à un secteur: Un bataillon de pionniers de forteresse dispose de moins d’équipages que d’ouvrages. Leur attribution se fait en fonction de la décision tactique. Cette évolution n’a cependant pas été remarquée par tous: beaucoup d’officiers pensent encore « troupes de forteresse Armée 61 » avec ses engagements figés, ses multitudes de servitudes et ses caisses de documents secrets !
Et pourtant les grands forts d’infanterie et d’artillerie ont été fermés.
Les formations desservant l’infrastructure de combat n’intègrent que des fortins lance-mines de nouvelle génération, quelques batteries Bison et des barrages avec barricades et ouvrages minés.

Quel sera leur avenir ?

  1. Sur la base de la doctrine opérationnelle de l’armée, en tenant compte des ressources à disposition, il faudra premièrement définir les besoins en renforcement du terrain.
  2. Deuxièmement, en appliquant le principe de modularité et en tenant compte de l’état de préparation désiré, il faudra déterminer quelles formations desserviront les installations retenues. Dans tous les cas, seule une partie des ouvrages pourra être occupée de suite et simultanément !

Ce processus, judicieux, tient compte de tous les paramètres objectifs. Au niveau subjectif par contre, demeure ce trouble qui décidément fait confondre troupes de forteresse et notion de réduit !

Pour beaucoup, il reste à comprendre que la dialectique entre mobilité et efficacité passe par le renforcement du terrain: Les bataillons mécanisés devront prendre leurs secteurs de combat au dernier moment, lorsque les indices clairs de l’effort principal adverse auront été déterminés. Ils n’auront pas le temps de procéder à des renforcements de terrain improvisés. Seul le renforcement permanent donnera la liberté de manœuvre nécessaire au commandant tactique supérieur !
Comme le rappelle souvent notre vice-président « le terrain commande, le feu décide ». Le renforcement permanent du terrain, synthèse de ces deux facteurs, est décidément l’argument majeur du défenseur menant le combat sur son propre territoire.
Pour conclure, permettez-moi d’attirer votre attention sur le potentiel touristique du patrimoine militaire. Il ne s’agit naturellement pas de sauver à tout prix de la vente ou de la démolition l’entier d’une infrastructure fortifiée érigée au cours du siècle dernier ou de transformer chaque fortin en un musée rempli de babioles plus ou moins reliées à des activités militaires.
Cependant, pour les jeunes générations qui n’ont connu ni les conflits mondiaux, ni la guerre froide et qui, contrairement à nous, n’ont pas entendu les récits de leurs pères ou vécu au contact de telles infrastructures, l’interprétation de ces vestiges deviendra de plus en plus mystérieuse.
Il est donc très important de conserver un choix d’installations typiques et significatives afin de faire comprendre l’esprit qui a permis à notre pays de rester uni devant l’adversité et les sacrifices consentis pour notre sécurité
Ce tourisme de mémoire sera un juste retour des choses: il permettra aussi d’honorer les populations qui ont accepté durant de nombreuses année la présence d’installations et de troupes dans leur voisinage.

Bien mis en valeur, rendus accessibles à un public toujours plus avide de connaissances et attiré par l’histoire, nos ouvrages ont encore un bel avenir devant eux.

Votre président

Divisionnaire Luc Fellay